Souvent, nous jugeons autrui à partir des docrtrines et de la morale dite "publique", c’est le mélange des principes religieux, familiaux, scolaires, personnels, etc.

Cela dit, tout un chacun a ses propres jugements et principes idéologiques, or, ces idées sont souvent des préjugés ou des préconstruits irrationnels, hérités de pères en fils et de mères en filles et perpétrés des générations durant.

Les jeunes Tunisiens, dans la plupart des cas, n’ont pas la chance d’avoir un entourage averti, intelligent, rationnel. Ils évoluent plutôt dans un entourage hérmétiquement fermé à toute ouverture d’esprit, à toute critique, à toute réflexion pouvant contrarier la morale. La culture de l’ « interdit » est enracinée chez les tunisiens. La religion interdit. Pourquoi ? Personne ne connait la réponse, sauf les pseudo-érudits argumentant, tout le temps, par des formules toutes faites souvent irréfléchies. Le père et la mère interdisent. Pourquoi ? Ils ne savent pas, ils ont eux-mêmes été élevés dans la prohibition. L’instituteur interdit. Pourquoi ? Il ne sait pas non plus, mais il a reçu la note du ministère interdisant beaucoup de choses. Le gouvernement interdit. Pourquoi ? Parce qu’il est totalitaire, et n’a jamais appris à faire autrement.

L’éducation est très importante c’est pour cela que je voudrais en parler. On n’en parle presque jamais en Tunisie en dehors des gens du domaine. Pourtant, il s’agit de la clé du futur, voire même l’essentiel.

Je ne vais pas vous raconter des histoires, mais une histoire vraie qui n’a rien à voir avec les faits divers. J’en ai tiré des conclusions et je suis toujours révolté, quoique vous allez voir, elle est trop classique et frole même la banalité.

Je ne suis pas l’instit de Toufik El Hakim, je ne suis pas non plus l’instit de France2. Par contre l’instit de moi même. Prétentieux ? Présomptueux ? Il se prend pour un philosophe celui-là, dites-vous ? Pas du tout. Plutôt, débarassé de certains dogmes, mais malheureusement pas tous. Dans ce récit, se rapportant à l’ةducation (en général) en Tunisie, un personnage représentant la morale dite publique que j’ai baptisé le fantôme, me suivra comme il vous suit tout le temps.

Ne vous attendez pas alors à une rencontre avec les Martiens, ni à une rencontre avec une sirène. Loin de là, je n’étais ni dans l’espace, ni dans les abysses de l’Atlantique, mais bel et bien sur terre, en Tunisie même. C’est vrai que dans le petit patelin, où j’ai enseigné et "déserté", on se croirait à Kaboul, un village ruiné ... ruiné.

 Le fantôme : Bien sûr que non ! Cria le fantôme de la morale du n’importe quoi qui me pourchâssait à chaque fois que je commence à critiquer et à me poser des questions. Mais qu’est-ce qu’il raconte ce mec ? La Tunisie ? Et bien tu te trompes la Tunisie est verte, la Tunisie est belle, touristique, chaleureuse, le pays du jasmin et des dromadaires, les plages de sable fin, le pays de la tolérance, du dialogue, du 26 26, des miracles, des quartiers chics, des belles voitures, du luxe, où tout un chacun à un habitat, où l’éducation est obligatoire et où il y a toutes les bonnes choses ... obligatoires.

 Moi même : Mkarriz : C’est vrai, il n’invente rien ce spectre ignorant qui nous hante les esprits, me dis-je. Après tout, les journaux locaux ne sont-ils pas tous d’accord, la télévision ne nous a-t-elle pas confirmé cela depuis nos premières curiosités. Nos instituteurs et nos professeurs ne nous ont-ils pas convaincu de cela dans les séances de « tarbia madania » (éducation civique), nos parents, grands-prents, voisins, oncles et tantes ne nous ont-ils pas appris les bonnes manières, entre autres à devenir comme disait TBB « Zbeibia » (en d’autres mots : jemenfoutistes), et à se taire quand il faut parler.

Chez-nous et seulement chez-nous « les murs ont des oreilles » énormes, pareilles à celles des éléphants. Bien sûr que oui et comment dire « non » dans le pays de l’ouïe. En Tunisie les oto-rhino-laryngologues ne s’occupent que des nez et des gorges, la capacité de l’écoute étant la plus développée du monde car c’est en Tunisie qu’on veut tout écouter même si personne ne parle. « le mouchard » est un héros. L’ordre règne en Tunisie.

Jacques Chirac, l’homme à tout niquer, la super star des guignols de France 2 ne l’a-t-il pas dit et redit, cet homme super-défenseur et, par principe de contradiction, super-destructeur des valeurs que Montesquieu et Voltaire ont construit et de la mèche d’espoir qui a commencé a peine à s’apercevoir en Tunisie. Vous faites la grève de la faim, dit-il, alors vous vous privez de vos propres droits, mais alors là, VOLONTAIREMENT ! Vous êtes les seuls coupables. Vous n’êtes que mauvais exemples ; Taoufik, Radhia, Zouhair et compagnie, vous n’avez pas de dignité ! De toute façon vous ne l’avez jamais eue.

Grandes gueules ? Certainement. Ils font chier son cher ami ZABA.

Comme tout prof débutant en Tunisie et n’ayant pas de « pistons », j’ai été affecté pour enseigner dans une école préparatoire celle du nouveau système. Vous savez celui qui forme les professeurs de certaines disciplines en français et puis les oblige à les enseigner en arabe.

 Le fantôme : N’oublie jamais que l’éducation est obligatoire, c’est un droit humain, ne comprends-tu pas ça ?. Le verbe "obliger" trouve sa légitimité.

 Mkarriz : Putain de merde, ce spectre de la morale du n’importe quoi est toujours là ? Tu ne te lasses jamais, tu fais chier ! ہ vrai dire je n’ai rien compris. On oblige qui à faire quoi ? Le professeur ou l’élève ? C’est ce que je ne comprends pas. C’est un vrai casse-tête tunisien. Les contradictions te cassent la tête !

 Mais quel con ! Ajouta le fantôme, quand tu es jeune tu es obligé. Je t’explique : tu es jeune tu ne comprends rien de la vie et en plus ce que tu veux connaître et comprendre n’est pas bien, voilà pourquoi on t’oblige c’est pour te montrer la bonne voie. Et tu la fermes !

Puis il continua : Qu’est ce que tu veux comprendre ? De quoi veux-tu parler ? De sexualité ? Ta gueule connard c’est "Hram" (interdit, prohibé, criminel, en fait c’est un mot tellement polysémique !), on ne parle pas de ça du tout, tu comprendras quand tu auras 40 ans. Demande à ton père il va te dire hram, demande à ta mère elle va te dire hram, demande à ton prof il va te dire la même chose, cherche dans le manuel on n’en parle même pas, regarde France 2, il y a le gars qui colore l’écran en bleu (censure de toute jambe ou de demi-sein nus). Tu vois on n’en parle jamais. et si tu le demandes encore tu vas aller en enfer. Voilà !.

 Mkarriz : Putain ! tu te dis, ça doit être grave la sexualité ! ہ ce moment-là tu as la trouille, alors tu la fermes. Là, si je comprends bien on oblige les petits pour leur bien. Enfin de compte on nous fait du bien dès notre enfance !

En Tunisie, si tu demandes ce que veut dire "hram". Là on te sort tout ce que les parents, grands parents, voisines, voisins, oncles, tantes, el mô’tamed et les non-avertis n’ont pas compris. Alors ils te diront parce que Dieu, le Coran, le chikh, el mô’tamed, le président, le policier, le prof et ton père ont dit que c’est hram. ہ ce moment-là et à cet âge tu te dis que tout ce beau monde doit sûrement avoir raison. Alors tu suis et tu ne dis rien. C’est ainsi qu’on construit des générations en Tunisie. Tout ceux qui ne comprennent rien apprennent, à ceux qui veulent comprendre : l’igorance, le culte du hram, de l’interdit, et du silence.

Et là le cirque éducatif continue, on vous apprend à être éduqué et bien élevé. Bref des brebis, on vous apprend à ne jamais contester, à ne jamais dire non, même pas à parler de sexe, puis la question du politique ou du sacré religieux ne se pose même pas. La frustration pure et dure. On est coincé dès notre jeune âge. Les tabous, nous en sommes les champions du monde.

« Il nous faut dorénavant une éducation personnelle et pas une attitude morale inculquée ». Merci Max Steiner

D’ailleurs remarquez la belle métaphore : dès notre naissance on nous enrolle dans une espèce de tissu appelé en tunisien "kmata", on a l’air d’une momie, ou un accidenté grave. Déjà, dès ta naissance tu ne respires pas, tu étouffes. Une pratique moyenâgeuse, soit-disant pour avoir une belle allure, sans déformation physique, « mistoui », enfin d’après ce qu’on m’a fait comprendre. « Mistoui = droit » tout un symbole de conformisme !

De son côté, notre éducation scolaire, nous prépare à être les citoyens modèles c’est-à-dire à fermer nos gueules, et à dire merci à notre président qui fait le beau et le mauvais temps. La rue nous apprend à jouer au foot et à la limite à draguer, dans la plupart des cas avec une vulgartié grave. C’est ça notre éducation, c’est ce qu’on fait de nous : des « misérables », il n’a pas tort Victor Hugo, mais il a oublié de parler des tunisiens, c’est vrai que ce n’était pas prévu qu’un peuple soit misérable au 21ème siècle. Hélas il y en a beaucoup !

Je reviens à mon histoire,

Dans ma classe de 2ème année secondaire, 8ème année du nouveau système (on jongle beaucoup avec les chiffres en Tunisie, vous ne comprenez pas ? en fait c’est un truc culturel). J’avais des élèves qui se sont sentis à l’aise avec moi. Je ne suis pas le bon samaritain, mais, détestant la dictature de l’éducation que j’ai eue et connue, j’ai décidé de favoriser le dialogue au moins dans ma classe. J’étais aussi le plus jeune prof de l’école et je voulais réssir une bonne carrière. Enfin, comme tout tunisien moyen qui n’a pas le choix.

Il y a avait alors beaucoup d’entente entre mes élèves et moi, ils vont jusqu’à me parler de leurs problèmes personnels ou avec les autres profs, tout en sachant que j’allais les écouter et ne pas défendre certains collègues qui ne sont pas à la hauteur du titre d’enseignant.

Le proviseur, lui, était de l’ancienne école, encore plus archaïque que celle que j’ai connue. Parfois tu peux entendre les giffles et les insultes depuis ta salle de classe, je vous jure ! On aurait dit qu’on était dans un poste de police tunisien. Imaginez-vous des enfants de 11, 12, 13 ans qui subissent cette forme de torture. C’est médiocre. C’est détestable. L’autorité c’est quelque chose qu’il faut interdire aux tunisiens, le premier qui l’a en abuse à outrance.

 Le fantôme : Connard, cria encore une fois le spectre de la morale du n’importe quoi, on prépare les jeunes à la vraie vie, ce n’est pas facile ça. Ils faut leur montrer les bonnes choses.

 Mkarriz : Oui c’est vrai qu’il y a la torture qui les attend à bras ouverts, sinon à quoi sert tous ces flics et tortionnaires, si ce n’est pour faire de nous de bons citoyens.

Une fois, l’un de mes élèves est venu me voir en courant. Il avait l’air terrorisé essoufflé, abattu, on aurait dit qu’il connaissait d’avance son misérable sort. Je lui ai demandé ce qu’il avait. Il m’as expliqué la situation avec les larmes aux yeux, il m’a fait pitié, bien que je déteste ce mot. Il m’a supplié de demander le pardon d’un autre prof, à sa place. D’intervenir. Déjà, demander le « pardon » au prof me faisait chier, car on dirait que lui donne une légitimité. Concessions ? Ok. Allons-y.

Je ne vous raconte pas le prof, un vrai "kachta w’orbit" vous savez ceux qui "ne comprennent rien" et qui "ne veulent rien savoir"

Le pauvre enfant avait commis un crime impardonnable dans le pays du pardon, de la tolérance, de l’ouverture d’esprit et là où tout va toujours bien.

Son crime, le petit de 12 ans, était d’être amoureux.

 Le fantôme : Oh mon Dieu ! Amoureux il n’a pas honte, c’est terrible, c’est "lifsad"... (la débauche)

Tout le monde a entendu parler de cette histoire d’amour digne d’un Roméo et Juliette à la tunisienne. Pire encore, il avait la photo de la fille et c’est la goutte qui a fait déborder le vase, c’est la preuve incontestée de son péché. En ce qui concerne la jeune fille, n’en parlons pas elle était pointée du doigt, la pute, la salope, celle qui n’est pas bien élevée. Tout le monde s’est mêlé à cette histoire : les profs, l’administration de l’école, le chikh, el omda, les laboureurs du chantier d’à côté. Bref, les représentants de la morale.

Ses petits, ne se sont même pas touchés (et je ne parle même pas d’acte sexuel : sinon c’est la « pendaison » !), d’abord parce que c’est hram, ensuite parceque c’est criminel, etc. de toute façon, quelque soit la raison, ils ne pouvaient et ils ne pourront jamais se toucher, dans ce coin, il n’y a que des oliviers et sous chaque olivier il y a un homme, un « taliban », un garde d’honneur.

J’ai essayé de discuter du problème avec le prof en question, mais en vain, il avait une tête de mûle, il a juré de « les détruire » : conseil de discipline, renvoi et probablement la prison à vie s’il en avait les moyens. Quand j’ai remarqué que les chances d’un règlement, autre que la destruction de l’avenir de ces enfants brillants en classe, étaient nulles, j’ai explosé et là je lui ai dit ses quatre vérités. Il savait qu’il avait tort, mais c’est le machisme, c’est le hram, c’est "killet ettourbia" (littéralement : le manque d’éducation, quelqu’un qui n’est pas bien élevé). Voilà les conséquences du manque d’ouverture, de l’absence de débat et de dialogue et de la prédominance du culte du tabou. Ce sont des profs comme lui qu’on prépare à l’école, c’est la frustration qu’on apprend aux petits. Bref du bourrage de crânes.

Maintenant je commence à comprendre. Je me pose des questions sur tous les hram, interdits, les valeurs et les pseudo-valeurs qu’on m’a appris.

C’était la fin de l’année, j’ai "déserté" l’enseignement et j’ai quitté ma Tunisie.

Alors je suis peut être pour certains éduqué et mal élevé. Je m’en fou !

Apprenons, au moins, à donner à nos enfants l’opportunité d’une bonne éducation, celle de l’éveil de l’esprit, du dialogue et de la démocratie, car comme on dit « si vous gâchez l’éducation de vos enfants, ce que vous pouvez réussir à côté importe peu ».