Le RCD et l'opposition tunisienne

Mohamed Bouchicha — 2004-11-10T15:24:40Z

J'ai reçu ce message de Mr François Bécet journaliste à l'Alsace :

Je termine un livre sur la Tunisie et j'aimerais avoir votre sentiment sur l'incapacité de l'opposition à s'unir et sur l'hégémonie du RCD.

Ma réponse :

Vous avez fait usage du terme « hégémonie » que nous considérons nullement réflecteur et ne peut guère présenter une image fidèle du paysage politique tunisien. Il est naturel de reconnaître que le Rassemblement Constitutionnel Démocratique (RCD) constitue la première force politique en Tunisie. Cette « première place » est due au fait que ce parti a contribué de façon majeure à l'indépendance de notre pays, sans pour autant minimiser l'effort des autres composantes de la société. Nous voulons rappeler [essentiellement aux lecteurs non tunisiens] que la trajectoire de cette composante politique n'a jamais été linéaire, un conflit ideologique concernant les choix stratégiques a conduit en 1971 un ensemble de militant à la dissidence. Ces derniers ont réfuté « une dérive à droite et l'abandon des choix socialistes », une grande partie de ce groupe a fondé le Mouvement de l'Unité Populaire (MUP) ancêtre du Parti de l'unité Populaire (PUP).
Nous devons reconnaître que la question essentielle qui nous préoccupe n'est nullement une « hégémonie », « suprématie » ou « dominance » du RCD mais plutôt une certaine conception de la démocratie et du pluralisme, non seulement au sein du champ politique tunisien mais surtout la vision et la pratique de chacun et de tous à travers la vie commune. Nous devons reconnaître avec amertume qu'une frange de notre société n'a pas encore acquis un « réflexe pluriel », ils pensent, agissent et se déterminent dans une logique de négation de l'autre et d'un refus total au droit à la déférence. Il serait insignifiant de « diaboliser » le RCD, nous croyons que le premier pas vers le progrès et l'émancipation nécessite une mise juste de l'équation avec toutes ses variables, sans pour autant oublier les constantes et les inconnus. Mettre le parti au pouvoir en « opposition mécanique » avec les partis d'opposition revient à dire que la prise du pouvoir a été réduite à un but en elle-même. Ceci contredit notre conception de la politique et s'oppose catégoriquement à notre vision de l'activité partisane, il va de même de dire que nous nous sommes toujours positionnés selon notre idéologie et avons agi à la lumière de notre conception de l'intérêt national. Nos camarades fondateurs ont catégoriquement refusé de « se courber » et ont payé de leur liberté leurs choix et leurs convictions.
Nous ne nous voyons guère en un anti-pouvoir comme nous refusons catégoriquement d'être un sous-pouvoir. Nous sommes un contre-pouvoir qui agit selon ses convictions et se positionne suite à une analyse rationnelle de la situation. De ce fait, nous avons eu des concordances (totales et complètes) avec le RCD, comme nous avons à maintes reprises exprimé une opposition ferme à un choix ou à une orientation, nous citons en exemple que la politique de privatisation doit se faire selon une autre vision qui prend en considération les choix de la masse laborieuse et le maintien des secteurs stratégiques dans le sphère des biens publiques.
Nous considérons que le terme « opposition unifiée » est en similitude directe et harmonie totale avec « parti unique », le droit de chacun et de tous à la liberté doit être une valeur sacrée, nul ne peut au nom d'une idéologie, d'une pensée ou d'un « prétendu intérêt national » prétendre à « gommer » les différences. Nous pensons qu'une action commune doit se faire dans le respect de l'un et de l'autre et doit impérativement prendre en considération les spécificités idéologiques des parties engagées et que le but suprême n'est pas de faire ou défaire une alliance ou une stratégie commune.
Nous voulons porter une contribution modeste à l'élaboration d'un champ démocratique et pluriel qui ne soit pas seulement « une simple étiquette de circonstance » mais plutôt partie intégrante du « réflexe du citoyen ». Notre journal Elwahda [www.elwahda.org.tn] constitue un support essentiel de communication, il est publié depuis peu en version bilingue afin d'être partie prenante des grandes questions qui animent l'humanité entière. Ces préoccupations [terrorisme, démocratie, environnement, drogue, la faim dans le monde et autres liées à la mondialisation] ne peuvent être traitées dans un cadre purement national, une concordance commune et une action collective s'imposent.
La participation de notre parti aux prochaines élections législatives et notre candidature aux élections présidentielles revêtent une dimension primordiale, notre but majeur est de faire que ces échéances soient un lieu de confrontation entre divers programmes et visions politiques différentes. Le citoyen doit être entraîné à savoir distinguer entre les formations en place dans le but de le faire engager dans l'action politique, qui ne se limitent guère à poser un bulletin dans une urne mais aussi de procéder à une lecture continue de la scène politique.

Rédigé par Mohamed Bouchiha
octobre 20, 2004

Tunisie Réveille Toi !

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