Tunisie Réveille Toi ! http://www.reveiltunisien.org/ Site d'information et d'opinion sur la Tunisie fr SPIP - www.spip.net MAMA http://www.reveiltunisien.org/spip.php?article2635 http://www.reveiltunisien.org/spip.php?article2635 2007-09-12T14:36:52Z text/html fr Adel 1- Nous avons longtemps attendu l'arrivée du général et de sa suite. Des hommes en costume bavardaient à l'ombre d'un olivier squelettique. L'unique arbre de la placette. Cinquante cercueils...cinquante médailles. Le compte y est. Et le discours ? Dans la poche ! Les chaises étaient disposées face à la bâtisse municipale. La première rangée, réservée aux officiels, était vide. Deux policiers allaient et venaient, signifiant aux uns et aux autres qu'il était temps de s'asseoir : « Vous avez attendu (...) - <a href="http://www.reveiltunisien.org/spip.php?rubrique85" rel="directory">Poèmes et nouvelles d'Algérie</a> <div class='rss_texte'><p><strong>-1-</strong></p> <p>Nous avons longtemps attendu l'arrivée du général et de sa suite. Des hommes en costume bavardaient à l'ombre d'un olivier squelettique. L'unique arbre de la placette. <br /><img src="http://www.reveiltunisien.org/local/cache-vignettes/L8xH11/puce-32883.gif" width='8' height='11' class='puce' alt="-" style='height:11px;width:8px;' /> Cinquante cercueils...cinquante médailles. Le compte y est. <br /><img src="http://www.reveiltunisien.org/local/cache-vignettes/L8xH11/puce-32883.gif" width='8' height='11' class='puce' alt="-" style='height:11px;width:8px;' /> Et le discours ? <br /><img src="http://www.reveiltunisien.org/local/cache-vignettes/L8xH11/puce-32883.gif" width='8' height='11' class='puce' alt="-" style='height:11px;width:8px;' /> Dans la poche !</p> <p>Les chaises étaient disposées face à la bâtisse municipale. La première rangée, réservée aux officiels, était vide. Deux policiers allaient et venaient, signifiant aux uns et aux autres qu'il était temps de s'asseoir : « Vous avez attendu tant d'années...patientez-encore un peu ! ». Vieux enturbannés et vieilles voilées protestaient contre la chaleur. Les plus jeunes lançaient des sourires de satisfaction à l'idée que leur sort allait bientôt changer.</p> <p><img src="http://www.reveiltunisien.org/local/cache-vignettes/L8xH11/puce-32883.gif" width='8' height='11' class='puce' alt="-" style='height:11px;width:8px;' /> Il paraît que c'est le président en personne qui a donné des ordres ! <br /><img src="http://www.reveiltunisien.org/local/cache-vignettes/L8xH11/puce-32883.gif" width='8' height='11' class='puce' alt="-" style='height:11px;width:8px;' /> Le président va venir ? <br /><img src="http://www.reveiltunisien.org/local/cache-vignettes/L8xH11/puce-32883.gif" width='8' height='11' class='puce' alt="-" style='height:11px;width:8px;' /> Wach ? <br /><img src="http://www.reveiltunisien.org/local/cache-vignettes/L8xH11/puce-32883.gif" width='8' height='11' class='puce' alt="-" style='height:11px;width:8px;' /> Non, mais il a donné des ordres <br /><img src="http://www.reveiltunisien.org/local/cache-vignettes/L8xH11/puce-32883.gif" width='8' height='11' class='puce' alt="-" style='height:11px;width:8px;' /> Wallah ? <br /><img src="http://www.reveiltunisien.org/local/cache-vignettes/L8xH11/puce-32883.gif" width='8' height='11' class='puce' alt="-" style='height:11px;width:8px;' /> Ah !</p> <p>J'ai regardé encore une fois du côté des soldats en tenue de parade alignés le long des cercueils et je me suis affalé sur une chaise, à la dernière rangée, loin des caméras de la télévision.</p> <p>Tout était prêt depuis le matin. La table était recouverte d'une nappe multicolore et placée à la lisière d'un champ d'épines, au pied de la mairie, sur une estrade ramenée de l'école du village. Une pile de petites boites vertes cachait le micro. « Un-deux, un-deux », répétait le technicien chargé de la sonorisation. Et sa voix se relayait sur les hauteurs de la montagne, « un-deux, un-deux ».</p> <p>J'ai pris l'autocar jusqu'à Aïn Nachfa et j'ai continué à pieds. A l'entrée du village, un des policiers en faction me fit signe d'arrêter. J'ai levé les mains pour qu'il puisse procéder à la fouille d'usage. Et après lui avoir montré ma carte d'invitation et mes papiers d'identité, il m'indiqua le lieu de la cérémonie. <br /><img src="http://www.reveiltunisien.org/local/cache-vignettes/L8xH11/puce-32883.gif" width='8' height='11' class='puce' alt="-" style='height:11px;width:8px;' /> Va par la route goudronnée et tourne à droite au niveau de la fontaine. Le wali, le maire et monsieur le commissaire sont déjà là. <br /><img src="http://www.reveiltunisien.org/local/cache-vignettes/L8xH11/puce-32883.gif" width='8' height='11' class='puce' alt="-" style='height:11px;width:8px;' /> Merci.</p> <p>Un peu plus loin, j'ai été accosté par un homme portant un brassard vert à l'épaule gauche. Il me souhaita la bienvenue et me présenta trois hommes costumés, debout à l'ombre d'un olivier. « Il vient d'Alger », dit-il. Le wali, le maire et le commissaire se ressemblaient étonnamment.. Ils avaient le même regard terne et la bedaine rebelle. « Tu es venu d'Alger ? », reprit le wali. Ou le maire. Ou le commissaire. J'ai dit que j'ai failli ne pas venir à cause des faux barrages et de tout le reste. Se pointa l'homme au brassard, suivi d'un nouvel arrivant. J'ai salué le wali, le maire, le commissaire, l'homme au brassard et le nouvel arrivant -« Salam Oua'âlikoum ! »- et je suis parti m'asseoir.</p> <p>L'immense banderole portant l'inscription « A la gloire de nos martyrs » pendait à la façade de la mairie. Elle ne tenait que par un seul bout. « Et si elle tombait ? », me dis-je. Un seul coup de vent et elle aurait plané au dessus du champ d'épines. Impossible alors de la tirer de là ! Mais l'adjoint maire qui se démenait comme un diable avait vite compris les conséquences d'une pareille éventualité et, en homme avisé, il cria : « Remuez vos fesses et remettez ça en place ! ». Trois, quatre, cinq gardes champêtres se mirent à courir dans tous les sens.</p> <p>Le général arriva à trois heures de l'après-midi. Les caméras s'ébranlèrent. Le long des cercueils, les soldats se mirent au garde-à-vous. J'ai écrasé ma cigarette et tout s'est ensuite passé très vite.</p> <p>« ...nous vous avons construit des autoroutes !...l'Alg...sqvtx...crac...couac » Le général portait des lunettes noires. Ses lèvres bougeait trop vite. Je ne l'écoutais plus. Ma tête tournait, tournait. J'avais mal au ventre et une folle envie de pisser. J'ai fait des efforts pour ne pas vomir sur place. Je me suis enfin soulagé vingt mètres plus loin, sur le bas côté de la route goudronnée. Lorsque je suis revenu, c'était le maire ou le wali ou le commissaire qui parlait. On nous appela et, un à un, on nous distribua des médailles en bronze gravées de l'emblème national, à la mémoire de nos parents dont les restes ont été trouvés, enfouis à trois pieds sous terre à peine, par le chien d'un berger du coin.</p> <p>La voiture du général démarra en trombe après les véhicules d'escorte et deux blindés légers, suivie du camion de la télévision. Le wali, le maire et le commissaire s'éclipsèrent. Le soleil était d'une rougeur sanguine et les criquets hurlaient à gorges déployées. J'ai remis la médaille dans son boîtier vert. Il a fallu que je me dépêche pour ne pas rater le dernier autocar.</p> <p><strong>-2-</strong></p> <p>De son lit, Mama aperçoit à peine le soleil quand il va se coucher de l'autre côté des bâtisses grises. Pour le voir s'enfoncer sous la mer, il faut se lever du lit, descendre deux à deux les marches de l'escalier intérieur, traverser le couloir du rez-de-chaussée, ouvrir la porte, dévaler quatre cents mètres de pente et prendre le raccourci de la « ruelle des Gargotiers » jusqu'au boulevard. Mais pour voir la mer, il suffit de monter à la terrasse. Il y a juste douze marches à grimper.</p> <p>Mama n'a pas remué depuis bien longtemps. Elle se contente d'attendre le moment où le soleil passe devant notre petite lucarne mal située avant de disparaître derrière les miradors de la prison « Barberousse ». Elle semble alors s'animer quelque peu. Ses lèvres tremblotent puis s'étirent. On croirait qu'elle est en train de sourire. Elle ne dit rien. Il y a trop longtemps qu'elle n'a rien dit. Elle peut même avoir oublié que le soleil s'enfonce sous la mer.</p> <p>Douze marches plus haut, mon petit bout de terrasse, mon territoire. Il surplombe la baie, à l'amont du port où viennent se noyer les rêves inachevés de la ville endormie. Je grille une cigarette, une grappe d'étoiles sur la tête et bois de grandes rasades de brise fraîche qui ballotte les rangées de linge propre étalé de part en part. Quand j'étais gosse, j'y venais surtout pour pouvoir pleurer en paix. Et c'était souvent à chaudes larmes. Ce n'étaient pas les raisons qui manquaient. Mes pigeons ouvraient grand leurs yeux minuscules et balançaient de la tête comme le pendule d'une horloge. Ils répondaient à mes sanglots par d'interminables roucoulements.</p> <p>Les autres disaient : « Ce p'tit a le cœur dur comme de la pierre ». La maîtresse du cours élémentaire me mettait au fond de la classe, parmi les cancres, parce qu'elle demandait toujours la profession du père. Et moi, je n'inscrivais jamais rien sur la fiche de renseignements. Elle me tirait les oreilles, me pinçait les joues et me frappait surtout avec sa baguette d'olivier sur les doigts et la tête. Mais je ne pleurais pas. Elle savait, elle, que mon père était mort depuis longtemps. J'attendais de rentrer chez nous et, là, je montais à la terrasse. Un jour, elle m'appela à son bureau et m'annonça sa décision de me faire asseoir au premier rang. En prime, elle m'offrit un bonbon à la menthe et un bon-point. Parce que j'avais fait courir le bruit que mon oncle était militaire. J'ai croqué le bonbon à la récréation et j'ai échangé le bon-point contre un morceau de gruyère. Et lorsque Mama l'a appris, elle m'a administré une bonne raclée et est allée pleurer contre le rebord de notre petite lucarne. J'ai donc avoué à la maîtresse que mon oncle n'est ni militaire ni commerçant et même qu'il passait le plus clair de son temps à jouer aux dominos, après le boulot, au café du coin.</p> <p>Des années ont passé et je n'ai plus bougé du fond des classes. Mais déjà, je n'étais plus ce gosse qui troquait ses bon-points contre des morceaux de gruyère. Et Mama s'était désormais rivée au lit à attendre que le soleil passe devant notre petite lucarne mal située avant de s'éteindre derrière les bâtisses grises des abattoirs d'en face.</p> <p>Mama n'a jamais eu le temps de me parler de mon père. Il paraît qu'il est mort d'une balle en plein cœur. Elle n'avait pas que ça en tête. Elle était trop occupée à faire le ménage chez les gens. Le soir, je dormais bercé par le ronronnement de la machine à coudre. Et puis, je ne pouvais pas vraiment comprendre. La maîtresse d'école savait que mon père était mort à la guerre. Elle m'a demandé de réciter la table de multiplication par neuf. La plus difficile...Neuf fois sept, soixante trois...Je n'ai pas eu de bon-point. Pas de bon-point, pas de gruyère. Le fils du commissaire en a eu deux. C'est un âne. Il s'assoit près du poêle. Au fond de la classe, il fait froid. La maîtresse n'est pas une pute, mais elle place les fils des riches près du poêle pour ne pas qu'ils attrapent de rhume. Mama m'a fait un mouchoir avec le tissu de sa vieille robe. La maîtresse a les bas troués. Elle est trop maigre et met du parfum qui sent l'oignon. Mon oncle m'a acheté un beau stylo à plume quand j'ai eu ma sixième. Il m'a même offert cinquante dinars. Je suis allé me baigner en compagnie des copains du quartier à la plage dite « Au pied du mur », lieu de convergence de tous les égouts d'Alger. Il n'y avait pas d'inscription du genre « Baignade interdite ». Et à supposer qu'il y en ait eu, j'y serais quand même parti piquer un plongeon ou deux. J'avais chaud au cœur. L'été signifiait pour moi trop de choses que nous devions avoir mais que nous n'avions pas.</p> <p>Alger, la nue ! Je ne la reconnaissais pas tellement elle devenait provocante. Elle n'arrivait plus à cacher ses dessous. Et les honnêtes gens étalaient déjà leurs ambitions à la face du monde. Les joues roses de leurs enfants contrastaient avec notre trop grande pâleur. Nous avions fini par attraper le choléra. Et Mama, Mama qui ne voyait plus le soleil passer devant notre petite lucarne juste avant de s'enfoncer sous la mer, ne devait jamais le savoir.</p> <p>Soleïman Adel Guémar</p></div> ROSA http://www.reveiltunisien.org/spip.php?article2634 http://www.reveiltunisien.org/spip.php?article2634 2007-08-21T12:06:41Z text/html fr Adel 1- L'unique fenêtre de la minuscule pièce où je loge donne sur une ruelle imprécise, réputée pour ses coins malfamés. La nuit, impossible de trouver le sommeil. Il faut attendre les premières lueurs de l'auble, après que les rideaux des bars soient baissés en un craquement infernal, et que les chiens, apeurés par tout ce qui bouge, se soient épuisés à aboyer leurs supplications incongrues. Là encore, les voix saccadées des « mouadens » qui se relaient tremblotent pendant une demi-heure avant de s'éteindre (...) - <a href="http://www.reveiltunisien.org/spip.php?rubrique85" rel="directory">Poèmes et nouvelles d'Algérie</a> <div class='rss_texte'><p><strong>-1-</strong></p> <p>L'unique fenêtre de la minuscule pièce où je loge donne sur une ruelle imprécise, réputée pour ses coins malfamés. La nuit, impossible de trouver le sommeil. Il faut attendre les premières lueurs de l'auble, après que les rideaux des bars soient baissés en un craquement infernal, et que les chiens, apeurés par tout ce qui bouge, se soient épuisés à aboyer leurs supplications incongrues. Là encore, les voix saccadées des « mouadens » qui se relaient tremblotent pendant une demi-heure avant de s'éteindre en de longs et profonds soupirs. Je m'étonnerai toujours de la diversité des bruits spécifiques à la nuit des bas fonds. Les quintes de toux des clochards tuberculeux se confondent aux miaulements des chats qui se bagarrent la possession d'une femelle de passage. Et au loin, les murmures des vagues balayant les rochers du port, disent des chut indistincts, persuasifs. Encore un moment, et tout finit par se taire.</p> <p>Voilà plus d'un mois que Rosa est partie. J'ai gardé le mouchoir que je lui ai pris l'autre nuit à Tala-Guilef, dans cet hôtel au pied du Djurdjura.</p> <p>Le réceptionniste s'est courbé en deux. Ce n'est pas de l'obséquiosité, non. C'est toujours ainsi que ça se passe. Quand on la voit pour la première fois, on ressent une douleur agréable à la poitrine. On est tenté de tout laisser tomber et de la suivre au bout du monde. Et comme elle sourit tout le temps, sourire pourtant triste, le regard profondément limpide, on se résigne, on n'ose pas aller plus loin.</p> <p><strong>-2-</strong></p> <p>« Première étage, chambre seize », bafouilla le réceptionniste . Le balcon donne sur une piscine vide. La neige recouvre l'étendue du regard. Rosa éparpille sa veste et son chandail sur la moquette et se jette sur le grand lit. Nous avons fait le trajet Alger-Tala en quatre heures et demie. A cause de la route glissante et des barrages de gendarmerie.</p> <p>Les cheveux mouillés, elle est plus belle que jamais. Et c'est toujours pour la première fois quand je la prends dans mes bras, lui défais son chignon, et nous nous aimons.</p> <p>Je comprends qu'elle puisse coller des complexes aux autres filles. Elles doivent se sentir moches, tordues, superficielles, en sa présence. Chabha éprouve envers elle une animosité particulière. Elle la traite de salope, de traînée.</p> <p><strong>-3-</strong></p> <p>Quand j'ai connu Rosa, elle était encore à « El-Journal », quotidien à grand tirage. Elle s'occupait de publicité. Un jour où j'étais dans l'embarras, deux articles sur les bras à remettre pour le lendemain même, elle me proposa de me donner un coup de main. Et j'ai dû, ce soir-là, la raccompagner chez elle. Quelques temps plus tard, elle quitta le journal après avoir lancé un cendrier en verre à la tête du directeur. « Il se croit tout permis depuis qu'il m'a obtenu l'appartement. Et encore, un studio exigu dans un quartier pourri ! Je l'ai remercié comme il se doit, mais il n'arrête pas pour autant de m'enmerder. Il n'était jamais question que je couche avec lui ! ».</p> <p> Depuis, elle n'a pas cessé de parcourir le monde. Les voyages, c'est sa grande passion. Aller plus loin, toujours plus loin. Je ne suis jamais resté sans nouvelles d'elle. Une fois, elle s'est absentée plus qu'elle ne l'avait envisagé. Cinq semaines, je l'ai attendue au studio. Ramdane venait me rendre visite les week-ends qu'il pouvait. Il était en pleine période d'examens. Il me racontait ses études et moi, le journal. Et on s'amusait à préparer le manger. La plupart du temps, des omelettes à l'oignon et au persil et des spaghetti à la sauce tomate. Les autres jours, je réchauffais les plats qu'elle m'avait laissés au congélateur.</p> <p>A la fin de la guerre, il y eut une grave discorde au sein de la famille de Rosa. Son père, mort au maquis, sa mère voulait partir. La famille l'empêcha de prendre Rosa. « On veut pas que la p'tite devienne une roumia ». Et la mère est partie.</p> <p>A dix sept ans, on décida de la retirer de l'école et de la marier à un riche cousin. Elle venait de rater son bac. Elle a pleuré des nuits entières avant que sa résignation ne cède à une espèce d'excitation fébrile. La fièvre des préparatifs fit qu'elle eut la vague sensation d'être heureuse. Ses tantes lui prodiguèrent les ultimes conseils, ceux que toute jeune vierge doit savoir par cœur. Puis vint le grand jour, l'été, la descente aux enfers</p> <p><strong>-4-</strong></p> <p>J'ai supporté les pires sévices pendant près d'un an. Et à dix huit ans, j'en avais cinquante ! C'est un déréglé. Il m'en a fait voir de toutes les couleurs. Et sa mère, une vraie sorcière qui prenait un plaisir fou à découvrir mes yeux au beurre noir et mes échymoses au visage. Il me faisait l'amour comme une bête. Le soir, il entrait ivre-mort, vomissant partout jusque sur le lit, puis exigeait que je l'embrasse sur la bouche. Pour lui prouver mon amour, qu'il disait. Et dire que j'aurai pu avoir un gosse de ce monstre ! Il passait son temps à me crier que je n'étais rien. Rien d'autre qu'une fille de « roumia ». Je lui rappelais alors que c'est mon père qui est mort, les armes à la main, brûlé vif par le napalm, alors que le sien se roulait les pouces aux frontières. Je lui disais cela en me protégeant le visage. Je n'avais plus peur des coups.</p> <p>Hadj Benkbir, son père, homme d'affaire notoire, était réputé pour sa générosité. Il contribuait par ses dons à la construction des mosquées. A la fin de la prière du vendredi, assailli par les mendiants de la commune, là encore il se faisait le chantre de la charité. Il rentrait sa main droite dans la poche intérieur de son veston, sous sa gandoura immaculée, en sortait des pièces clinquantes et, sans compter, les distribuait à la foule indigeante qui, généreusement,, l'innondait de ses bénédictions. Juste retour des choses. Tous voyaient en Hadj Benkbir le symbole vivant de l'homme pieux, « Que Dieu le bénisse ! », sauf moi, bien entendu, qui savais que tout ceci n'était autre qu'une grande et vulgaire mascarade. « Regardez ce visage illuminé par le sceau de la foi ! », qu'ils disaient. Embelli par une barbe blanche méticuleusement entretenue, ce visage n'était autre que celui d'un auguste escroc.</p> <p>Propriétaire d'une dizaine de magasins et d'immenses terres agricoles, ses revenus ne lui faisaient pas perdre la tête pour autant. Il avait gardé en mémoire les affres de la disette des années quarante. Il fit cependant deux légers écarts au cours de mon séjour chez eux : une Mercedes noire, pour lui, et une blanche pour son fils, l'heureux unique héritier. Ce dernier en était particulièrement fier. Fier aussi de tenir un hôtel et un restaurant à lui tout seul.</p> <p>Son jeu favori était de me raconter l'histoire de la guerre alors qu'il me prenait. Il me donnait l'impression de faire là sa petite guerre contre les autres, contre le mauvais œil. Il érigeait en véritables héros les ralliés de la dernière minute, les dandys et les planqués, en fustigeant les purs et durs, les vrais gars ! Il récitait très bien ses leçons !. اa ne devait pas être vraiment de sa faute, lui qui ne voyait pas plus loin que sa caisse enregistreuse. Il se faisait l'échos de ses aînés engraissés par ces temps de prospérité brouillone. Orpheline, il me croyait incapable de songer à le quitter. Seulement voilà !. Comme je suis bien la fille de mon père, j'ai tout envoyé en l'air et je me suis installée chez une amie, étudiante, qui habitait la cité universitaire de « Bab El-Karma ». J'ai entamé une procédure de divorce, et j'ai attendu.</p> <p>J'ai fait la nurse à mi-temps chez une enseignate à la fac. Elle me payait trois mille dinars par mois. Heureusement que j'avais quelques bijoux sur moi. La banque m'en a donné la coquette somme de quatre millions. Mon avocat ne faisait pas de crédit. Il me répétait que les affaires de divorce durent généralement longtemps. Moi, je voulais en terminer au plus vite. Entre temps, l'amie qui m'hébergeait eut de sérieux problèmes à cause de moi. J'avais refusé les avances d'un des patrons de l'administration. Ils se sont alors souvenus d'une clause du règlement interdisant l'accès à la cité universitaire aux personnes étrangères.</p> <p>J'ai attendu quelques jours et me suis présentée à nouveau chez mon avocat. Il m'a demandé de l'argent et m'a conseillé de ne pas perdre patience. « Il suffit que le mari accepte », qu'il m'a lancé. Je lui ai envoyé mon sac sur la gueule et je suis sortie en claquant la porte.</p> <p><strong>-5-</strong></p> <p>J'ai toujours éprouvé du plaisir à écouter parler Rosa. Je souris. Je ne dis rien. Cette nuit-là, à Tala-Guilef, nous nous sommes emmitouflés dans nos pull-overs et nous avons marché, l'un contre l'autre, en suivant les halos des lumières vacillantes des lampadaires en bordure du chemin de l'hôtel.</p> <p>Nos pas crissent sur la neige qui continue de tomber. Nos souffles se transforment en buée qui s'évanouit aussitôt, happée par la nuit. Je veux que le jour n'apparaisse jamais, et Rosa contre moi qui entonne un air vieux de mille ans.</p> <p>Gelés, tremblotants, le jeune réceptionniste de l'hôtel nous accueille avec son plus beau sourire. L'air chaud de la chambre nous revigore le corps. Rosa a les joues et le nez rouges. Elle s'essuie les cheveux avec un mouchoir qu'elle me jette à la figure.</p> <p><img src="http://www.reveiltunisien.org/local/cache-vignettes/L8xH11/puce-32883.gif" width='8' height='11' class='puce' alt="-" style='height:11px;width:8px;' /> T'ai-je dit que Ramdane est venu me voir ?</p> <p><img src="http://www.reveiltunisien.org/local/cache-vignettes/L8xH11/puce-32883.gif" width='8' height='11' class='puce' alt="-" style='height:11px;width:8px;' /> Il va mieux ?</p> <p><img src="http://www.reveiltunisien.org/local/cache-vignettes/L8xH11/puce-32883.gif" width='8' height='11' class='puce' alt="-" style='height:11px;width:8px;' /> Des idées noires...la tête bourrée d'idées noires !</p> <p><img src="http://www.reveiltunisien.org/local/cache-vignettes/L8xH11/puce-32883.gif" width='8' height='11' class='puce' alt="-" style='height:11px;width:8px;' /> A vouloir changer le monde...ça lui passera !</p> <p>Elle saute du lit à la chaise, qui craque, puis de la chaise au lit, et ça fait grincer les ressorts.</p> <p><img src="http://www.reveiltunisien.org/local/cache-vignettes/L8xH11/puce-32883.gif" width='8' height='11' class='puce' alt="-" style='height:11px;width:8px;' /> Ah, je te tiens !</p> <p>La lune découpe dans le ciel un croissant qui suinte sur la fenêtre tandis que hurlent les loups dans le lointain obscur. Plus j'observe Rosa dormir, plus je me rends compte de la foutaise du destin et de la bêtise des hommes. Agitée de soubresauts, elle fait toujours le même rêve. Un cauchemar. Elle est poursuivie par des hommes, des haches à la main, accompagnés de femmes chauves, toutes griffes dehors. Au moment où elle s'apprête à franchir une ligne de chemin de fer, son pied s'accroche à un rail. Elle tombe. Elle n'arrive pas à se dégager. Au loin, le sifflement d'un train. Il arrive. Il fonce à toute vapeur. Le front de Rosa est perlé de grosses gouttes de sueur. Je l'éponge de ma main et je l'embrasse. Le train s'arrête. Essoufflée, la horde fait une halte, mais reviendra à la charge, plus tard, lorsque Rosa s'accrochera le pied à un autre rail et que sifflera à nouveau le train. Je sens son corps frémir sous les couvertures, et je pense à toutes les folies qu'elle a pu faire.</p> <p><strong>-6-</strong></p> <p>Une année s'était écoulée depuis que j'avais déposé ma demande de divorce, et rien n'avait encore filtré. Mon avocat m'envoya une note de frais supplémentaire, accompagnée d'une lettre dans laquelle il se disait profondément choqué par mon comportement négatif. Je m'étais dite qu'il espérait toujours. J'avais dû lui rester au travers de la gorge, l'affreux !. Mon amie l'étudiante m'avait parlé d'un cousin à elle, magistrat haut placé. « Va de ma part. Lui ne te demandera rien ! », qu'elle m'a dit. Je me suis faite belle et je suis partie le voir.</p> <p>En écoutant mon histoire, il a fait la moue et il a dit que la machine judiciaire est hélas trop lente, tombe parfois en panne, mais finit toujours par reprendre sa marche solennelle, pour aboutir inexorablement à la vérité. Ouf ! Il ne faut jamais désespérer ! Alors ? Et la solution ? Il ne peut vraiment rien faire. C'est une affaire banale qui suivra son cours imperturbable. Il n'avait pas arrêté de lorgner dans la direction de mon décolleté. Il s'entortillait sur sa confortable chaise en cuir marron. Respectable, ce vieux plein de graisse fraîche, et qui commençait à baver ! Et la solution ? Il y en a forcément une. J'ai dit d'accord. Il n'a pu s'empêcher d'ouvrir la gueule de satisfaction, laissant apparaître des dents noirâtres. J'ai jugé alors qu'il devait ingurgité sec des décalitres de Whisky et fumer de vrais gros Havanes.</p> <p>Nous sommes allés dans une luxueuse villa au bord de la mer et il a fait des pieds et des mains pour être performant. Une semaine plus tard, j'obtins mon divorce. Mon amie l'étudiante était ravie pour moi. Serviable, son oncle ou son cousin, je ne sais plus.</p> <p><strong>-7-</strong></p> <p>Le matin, nous sommes montés, Rosa et moi, au plateau de Laïser, à environ trois kilomètres de l'hôtel, et nous avons poussé jusqu'au lac Agoulmine. Nous nous sommes amusés à rompre, par endroits, la mince couche de glace qui le recouvrait, en y lançant, faute de pierre, des morceaux de verglas aussi durs que du granit. Au dessus de nos têtes, les nuages étaient rares. La plupart, pris au piège des pics d'en bas ou emportés par le vent vers les plaines. Rosa s'est enduite les lèvres de beurre. C'est moi qui le lui ai conseillé. A cause des gerçures.</p> <p>Je me suis étendu et elle s'amusait à me lancer des petites boules de neige. Deux à trois fois, elle a fait tomber son bonnet rouge, et sa chevelure s'est mise à tournoyer dans tous les sens. Elle est venue s'allonger près de moi, et nous avons croqué des morceaux de neige qui sentait la résine fraîche. Elle ne s'est pas laissée faire lorsque j'ai voulu lui ôter ses lunettes de soleil. Elle se débattait tout en remettant en place ses cheveux ébouriffés.</p> <p>« Ton bonnet ! Où est ton bonnet ? ». Emporté par une bourrasque, il gisait au beau milieu du lac gelé. Un point rouge sur la blancheur cristalline. Pas question d'aller le chercher. La glace peut se rompre. S'il n'est pas recouvert par la neige ou emporté par le vent, des gens le découvriront et penseront peut-être qu'une petite fille s'est noyée dans le lac, ce printemps. Ils chercheront un trou dans la glace, et comme il n'y en aura pas, ils diront : « Un bonnet, ça ne prouve rien ! ». Le soleil avait décliné, le ciel s'était couvert, et quand je l'ai embrassée, sa bouche avait le goût de l'eau de source et du beurre pasteurisé. Nous sommes redescendus, en nous laissant glisser sur des pentes abruptes. Des toboggans enneigés.</p> <p> Le jeune réceptionniste nous a cru égarés. Rosa lui a rendu ses lunettes de soleil, mais il a juré sur la tête de sa mère de ne pas les reprendre. Terminé le week-end. Il nous a longuement serré la main. Nous lui avons promis de revenir. Il s'appelle Akli et avait le visage boursouflé par des boutons d'acné turgescents. On voyait bien qu'il les tripotait sans cesse.</p> <p><strong>-8-</strong></p> <p>Je viens de recevoir une lettre de Rosa. Elle s'est installée au Liban. Elle dit qu'elle se débrouille assez bien. Je suis heureux pour elle. Vraiment. Ramdane, lui aussi, est parti. Ils sont partis ensemble. Il ne me reste plus qu'à rejoindre Chabha, ma femme. اa fait plus d'un mois qu'elle est chez ses parents. Ils me croient en mission. Un mois sans donner de mes nouvelles, c'est un peu long. Au fond, je l'aime bien, Chabha. Elle me manque. Et les gosses aussi.</p> <p>Soleïman Adel Guémar</p></div> LA VOIX DE LA RAISON http://www.reveiltunisien.org/spip.php?article2636 http://www.reveiltunisien.org/spip.php?article2636 2007-08-20T15:34:24Z text/html fr Adel Au début, il ne voulait rien savoir. Il tenait sa plume à la façon d'une Kalachnikov pointée sur tout ce qui lui paraissait suspect. Il ne pouvait comprendre qu'on puisse devenir, si vite, aussi gras, aussi bête et méchant. Ainsi, Ayane Kilokhrine tirait à bout portant sur ceux qui, selon ses propres dires, avaient « vendu pour pas cher les feuilles d'automne au plus offrant d'entre les vents », faisant référence, sans doute, aux idéaux de la révolution de Novembre 1954 qu'il estimait trahis par une caste (...) - <a href="http://www.reveiltunisien.org/spip.php?rubrique85" rel="directory">Poèmes et nouvelles d'Algérie</a> <div class='rss_texte'><p>Au début, il ne voulait rien savoir. Il tenait sa plume à la façon d'une Kalachnikov pointée sur tout ce qui lui paraissait suspect. Il ne pouvait comprendre qu'on puisse devenir, si vite, aussi gras, aussi bête et méchant. Ainsi, Ayane Kilokhrine tirait à bout portant sur ceux qui, selon ses propres dires, avaient « vendu pour pas cher les feuilles d'automne au plus offrant d'entre les vents », faisant référence, sans doute, aux idéaux de la révolution de Novembre 1954 qu'il estimait trahis par une caste dominante sans foi ni loi. Il éprouvait un plaisir fou lorsqu'il réussissait à pondre un article nitroglycérine et dormait alors profondément, en rêvant de lendemains meilleurs.</p> <p>Le matin, il allait au devant des fades réalités, prêt à en extraire le fuel qui alimentait sa rage. Mais au « Gentil Citoyen », il y avait longtemps que les journalistes n'écrivaient plus rien. Ils se contentaient de transcrire et, surtout, de signer les dépêches tombées sur les télescripteurs. Pour le reste du temps, ils allaient grossir les queues devant les magasins d'alimentation générale.</p> <p>Lui, toujours avec la même obstination, frappait à la porte du rédacteur en chef en espérant que sa voix puisse, un jour, élire domicile fixe (à la mesure de sa révolte) au sein du journal où il travaillait depuis dix ans déjà. A la rubrique nécrologique !</p> <p>Quand bien même, Ayane Kilokhrine était gentil (tous les journalistes du « Gentil Citoyen » sont gentils), il a fini par réagir. Il eut, une fois, l'idée subversive d'inverser l'ordre hiérarchique des morts et l'exécuta sur le champ. Mais on s'en aperçut à temps et il a fallu reprendre tout le travail. Tout le monde au journal savait qu'il n'avait dû son salut que grâce à l'intervention d'un ami d'enfance, officier de son état.</p> <p>Et pendant que le soleil brillait toujours aussi bas sur toute l'étendue du pays, ses collègues continuaient de signer frénétiquement les dépêches tombées sur les télescripteurs en les transcrivant intégralement. D'ailleurs, personne n'achetait plus le « Gentil Citoyen » depuis fort longtemps , sauf les administrations publiques et les autres institutions de l'état qui étaient obligées de s'y abonner à raison d'un minimum de mille exemplaires par jour.</p> <p>Les queues devant les magasins d'alimentation générale s'allongeaient, s'allongeaient. Et Ayane Kilokhrine, aussi sonné qu'un boxeur amateur au dixième round ( ! ), s'enticha de Fahma, une jolie fille, qui se chargea de lui inculquer les rudiments de l'ambition. Ne pouvant résister longtemps, il baissa complétement sa garde et reçut, du coup, un charmant crochet (fatal) au menton.</p> <p>Depuis ce jour, il n'entend que les cui-cui des oiseaux, ne jure que sur la tête de ses enfants, transcrit et signe machinalement les dépêches tombées sur les téléscripteurs du « Gentil Citoyen »</p> <p>Soleïman Adel Guémar</p></div> FORCE-FOLIE et 6 autres poèmes http://www.reveiltunisien.org/spip.php?article2637 http://www.reveiltunisien.org/spip.php?article2637 2007-08-20T15:33:31Z text/html fr Adel Force-folie je joue la vie et loin de moi/ mes amis attendent la mort dans l'âme/ l'aube incertaine qui ne vient pas/ achevée tambour battant/ sur l'autel du pragmatisme/ planétaire// bien sûr que les mots sont là/ pour cacher l'horreur/ la douce musique bien connue/ se charge du reste// je joue l'oubli et loin de moi/ mes amis ne peuvent oublier/ la douleur lancinante des plaies/ béantes de leurs blessures/ les empêche de dormir/ dans les geôles infectes/ leurs corps sursautent/ se (...) - <a href="http://www.reveiltunisien.org/spip.php?rubrique85" rel="directory">Poèmes et nouvelles d'Algérie</a> <div class='rss_texte'><p><strong>Force-folie</strong></p> <p>je joue la vie et loin de moi/ mes amis attendent la mort dans l'âme/ l'aube incertaine qui ne vient pas/ achevée tambour battant/ sur l'autel du pragmatisme/ planétaire//</p> <p>bien sûr que les mots sont là/ pour cacher l'horreur/ la douce musique bien connue/ se charge du reste//</p> <p>je joue l'oubli et loin de moi/ mes amis ne peuvent oublier/ la douleur lancinante des plaies/ béantes de leurs blessures/ les empêche de dormir/ dans les geôles infectes/ leurs corps sursautent/ se tordent et attendent/ que la lourde porte s'ouvre//</p> <p>je joue la vie/ quand d'autres s'occupent de mises au pas/ d'avant l'uniformisation/ prélude à l'esclavage//</p> <p>force-folie/ ne me laisse pas le choix des armes/ quand tout n'est plus qu'apparat//</p> <p>que veux-tu .../ le troupeau excité défile/ et chante en chœur/ des yeux bien morts/ le guide//</p> <p><strong>Ici et là</strong></p> <p>ici/ on mange/ on se tait/ on s'exécute//</p> <p>mais ça ne fait rien/ ici/ on se rebiffe après !/</p> <p>ici/ on s'exécute/ on mange et on se tait</p> <p><strong>Gégène</strong></p> <p>ces yeux perdus/ ce crâne rasé/ ces dents cassées/ ce nez qui saigne//</p> <p>ce corps nu/ est assis/ sur le goulot d'une bouteille</p> <p><strong>Interrogatoire</strong></p> <p>dos au mur/ je regarde défiler/ ma vie et mes yeux sont/ des trous noirs par où/ disparait la lumière//</p> <p>monte cette puanteur inhumaine/ qui contamine mes tortionnaires/ et le monde entier/ à chaque fois que je tombe/ tête la première/ du haut de l'échelle métallique/ mes râles se taisent//</p> <p>mon corps inerte/ se souvient encore du parfum des fleurs/ et des aubes voluptueuses//</p> <p>je veux mourir ainsi/ leur claquer entre les mains/ ultime évasion/ atteinte au moral des troupes/ être enterré sous X/ ou dans une fosse commune/ pour pouvoir enfin rêver/ en paix</p> <p><strong>Les bonnes réponses</strong></p> <p>ne t'en fais pas/ je sais des halos quand la nuit est sans lune/ je sais l'exil au coeur des salons feutrés/ je sais l'enfant joyeux/ farceur insouciant/ qui pleure pourtant quand la brise se fait/ tendre//</p> <p>dis-moi/ toi qui parcours les steppes de pavés/ à l'heure des couleurs pourpres/ as-tu enfin trouvé la fosse commune/ où pourrissent les coeurs</p> <p><strong>Hommage</strong></p> <p>je vais enfin pouvoir t'aimer jusqu'à l'aube/ effacer de tes yeux la langueur des nuits sans fond/ passées à m'attendre au chevet de nos rêves/ alors que sur le sol humide d'une prison/ quelque part sur la terre des hommes/ des araignées jouaient dans mes cheveux</p> <p><strong>Un rêve</strong></p> <p>les cigognes sont revenues/ faire leur nid sur les toits/ les plus hauts le vent se lève/ sur l'étang bleu/ tangue la barque et du rivage/ l'orpheline te fait des signes/ dans le tourbillon des feuilles mortes/ les arbres nus/ tendent les bras au ciel/ qui te regarde enfin sourire</p> <p><i>Soleïman Adel Guémar</i></p> <p>Extraits de <strong>ETAT D'URGENCE</strong>, Arc Publications, Todmorden, UK, 2007. (Bilingue : français/ anglais)</p> <p><strong>Prix English PEN, 2007</strong></p> <p><strong>ETAT D'URGENCE / STATE OF EMERGENCY</strong></p> <p><i>“dédié à tous ceux dont les rêves ont survécu aux harcèlements de la bêtise humaine”.</p> <p>“dedicated to all those whose dreams have survived the scourge of human stupidity”</i></p></div>